La valse des cerfs volants
Tableau 1
Mouloud, c'est ainsi qu'on le surnommait, ne ressemblait à personne. Il n'avait rien d'un africain même s'il avait les lèvres épaisses, pas plus qu'il n'était asiatique bien que ses yeux étaient un tantinet bridés. Il était lui un point c'est tout et c'était là déjà beaucoup!
De de son vrai nom Lucien, il n'habitait pas comme beaucoup de ses camarades de classe dans ces petites maisons agglutinées en grappe comme des ruches d'abeilles, mais était né dans une sorte de grande fondation qu'il appelait son château ! Ancien couvent des Ursulines, réhabilité pour une partie en logements et pour l'autre en espaces d'animation, c'était pour lui et il en était fier, une pharaonique demeure qui sentait bon le vieux plancher ciré. Elle était accolée au cinéma du village, le tout incorporé dans une méga cour de récré à demi couverte d'un préau, encastrée par on ne sait quelle magie dans un magnifique tilleul parfumé. Jamais le temps de s'ennuyer à courir dans les escaliers et des copains y'en avaient plein, les fonds culottes étaient usés!
Son père faisait un Petit Travail Tranquille comme il disait et travaillait à la poste du village. Tous les matins sous n'importe quel temps, après avoir mis sa casquette, son beau costume bleu foncé d'hiver ou clair en été et endossé sa sacoche de facteur, il enfourchait son vieux vélo et allait préparer sa tournée pour ensuite distribuer le courrier.
Sa mère, elle s'appelait Marie Madeleine de Tourchevel et s'affairait toute la journée à faire le ménage chez les friqués, le repassage du vieux curé et le reprisage des fonds culottes qui n'en finissaient pas de s'user! Il l'adorait la Marie Madeleine avec ses longs cheveux soyeux rehaussés de chaque côté par des jolis peignes argentés, Elle était aimante et si courageuse, même qu'il aurait voulu se la garder à lui tout seul au lieu de devoir la partager avec tous les minots de la cité !
Lui il aimait le grand air et la cime des arbres, les oiseaux, les cabanes , la musique des noirs et le son des fanfares. Il détestait les boîtes qu'il trouvaient trop étroites! Elles sentaient toutes le renfermé !
Mais Mouloud sans le savoir, faisait le désespoir des siens ! Excédés par ce petit garçon qui décidément ne ressemblait à rien et ne rentrait dans rien, maîtres et maîtresses se mirent un jour en tête de le changer, de l'éduquer, le rendre plus conforme pour qu'il soit dans la norme!.
Dans l'insouciance de ses
dix ans, Lucien trouvait le monde bien compliqué! Qu'avaient donc tous ces grands à vouloir le transformer! Pourquoi disait-on toujours de lui qu'il n'arriverait à
rien! Qu'il était cabochard, illettré et ignare! Il était lui un point c'est tout et c'était là déjà beaucoup! Et puis il n'était pas si bête et il en connaissait des
choses! La Fontaine ,c'était quand même quelqu'un La Fontaine, ça même son maître il le disait! Eh bien, lui Lulu savait mieux que personne toutes les histoires de ce grand
homme ! Celle du corbeau stupide qui se faisait piquer son fromage; de la cigale rock star qui n'avait plus rien à manger avec la fourmi radine aussi pingre que sa voisine
la mère Pichard; de la grenouille qui voulait être aussi grosse qu'un bœuf et qui avait fini par péter comme son ballon de baudruche sur la cour de récré.... D'ailleurs, preuve qu'il
n'était pas stupide, lui aussi aimait la poésie surtout quand elle était de lui!
Un jour le maître le surprit au milieu de ses rêveries:" Lucien, ce n'est pas en écrivant tes inepties que tu réussiras dans la vie! lui avait -il dit alors d'un ton plein de reproches. Certes ce jour là, il admet qu'il n'avait pas tout saisi mais quand toute la classe avait ri, il savait bien qu'on se moquait de lui! Les mots s'était-il dit alors, ça ne fait pas de traces dessus la peau, juste quelques bleus dessus le cœur mais on ne les voit que de l'intérieur! Dehors qui devinera qu'il est idiot si lui Mouloud n'en pipe pas mot! Il la trouvait pourtant jolie sa poésie! Tant pis! Il l'avait mise à l'intérieur à côté de ses bleus au cœur!
Au début c'est vrai, ça le faisait presque pleurer et quand son père le voyait renifler le cartable plein de contrariétés, il n'arrêtait pas de lui répéter: " Lulu, arrête de pleurnicher! Mets donc tout ça dedans ta poche et pose ton mouchoir par-dessus! N'y pense plus ! Pour sûre, il avait l'air de bien la connaître la chanson son père! Il avait du remplir ses poches et user des tonnes de mouchoirs!
Qu'avait-il donc de si étrange pour s'attirer toujours ainsi les railleries de ses camarades à l'école! D'accord il n'aimait pas la symétrie et boudait les maths sans merci mais c'était là son seul délit! Était ce vraiment sa faute à lui si à l'ordre il préférait le désordre, les choses jamais bien alignées ; les notes qui dansent sur la portée! Et puis comment aurait -il pu savoir quoi acheter avec 1 franc lui qui n'avait jamais eu un sou en poche, même que sa mère lui disait toujours: " lulu, il te manquera toujours deux sous pour faire un franc!
A suivre.....
Écrire commentaire